Une Journée du halal s’est tenue au CICES le 23 décembre 2025 dans le cadre de la 33ᵉ FIDAK (7–31 décembre 2025).

Elle a été portée par l’ADEPME (avec Appsaya) et s’est structurée autour d’un cadrage explicitement économique : « L’économie halal, un levier de croissance pour nos PME
Les éléments les plus saillants (en tant que “propositions” implicites et explicites) sont les suivants :
Cadrage “normatif” et “marché” : priorité mise sur les normes et la certification, conçues comme conditions d’accès aux marchés.
Orientation export et chaînes de valeur : le halal est présenté comme un levier de montée en gamme, de structuration des chaînes de valeur, et de diversification des exportations (au-delà du seul marché domestique).
Dispositif concret de “mise en marché” : exposition type “Halal Market” + networking B2B (acheteurs/distributeurs/investisseurs), avec l’idée de déboucher sur protocoles d’accord et partenariats.
Internationalisation par présence diplomatique et benchmarking : participation annoncée d’acteurs/représentants (notamment Malaisie et Indonésie), ce qui signale une stratégie de “raccordement” aux écosystèmes halal déjà consolidés.
Élargissement sectoriel : discours insistant sur le fait que le halal ne se réduit pas à l’agroalimentaire, mais couvre aussi finance islamique, modest fashion, tourisme, cosmétique, etc.
Ces marqueurs convergent vers une même idée : faire passer le halal d’un registre de “consommation religieuse” à un registre de “standard de qualité, de traçabilité et d’accès au marché”.

2) Lecture critique : réalisme, potentiel, faisabilité
A. Ce qui est réaliste et porteur
Le déplacement du débat vers les standards est une bonne nouvelle : c’est la condition minimale pour ne pas rester dans l’incantation (“le halal = 2 milliards de consommateurs”), et pour parler compétitivité, conformité, assurance qualité, traçabilité.
La mise en scène B2B (acheteurs/distributeurs/investisseurs) est un signal de maturité : elle suggère que l’on veut tester des débouchés et non seulement tenir un forum.
L’élargissement sectoriel est stratégiquement juste, à condition d’être séquencé : la finance, le tourisme, la cosmétique, la modest fashion relèvent de chaînes normatives différentes, mais l’idée d’un “écosystème halal” est cohérente si l’on accepte un déploiement par vagues.

B. Le point de vigilance : le risque de “sauter l’étape institutionnelle”
La faisabilité ne dépend pas d’abord de la rhétorique, mais d’une architecture de confiance. Or le halal est un marché à coûts fixes élevés : audit, mise en conformité, documentation, laboratoires, traçabilité, logistique, contrôle des intrants, formation, etc.
Si l’on n’installe pas cette infrastructure, le Sénégal risque :
soit de produire un halal “domestique” non reconnu à l’export,
soit de dépendre d’une certification externe coûteuse, réduisant la valeur captée localement,
soit d’ouvrir un espace de confusion (multiplication de labels, conflits de légitimité, soupçons de rente).
La Journée du 23 décembre a le mérite d’identifier ces enjeux (normes/certification), mais la question décisive devient : qui arbitre, qui accrédite, qui contrôle, et selon quelle doctrine de reconnaissance internationale ?

3) Conditions de faisabilité : “remettre les pendules à l’heure” sans casser l’optimisme
Condition 1 — Clarifier la doctrine sénégalaise du halal (religieux, économique, souverain)
Le Sénégal a une singularité : un islam socialement majoritaire, historiquement soufi, à forte fonction de cohésion, et un État qui doit préserver l’équilibre entre économie, pluralisme et stabilité.
Conséquence : il faut éviter deux écueils symétriques :
l’hyper-religiosisation (qui transforme le halal en marqueur identitaire conflictuel),
la dé-religiosisation naïve (qui nie que, pour une partie des publics, la confiance halal repose aussi sur des autorités religieuses crédibles).
La voie réaliste consiste à définir un partage de rôles :
l’État et ses agences : qualité, commerce, export, traçabilité, normalisation ;
les instances religieuses reconnues : référentiel éthique et légitimation sociale, sans captation monopolistique ;
le secteur privé : investissements, mise à niveau, innovation.

Condition 2 — Une gouvernance de la certification : réduire la fragmentation, augmenter la reconnaissance
L’enjeu n’est pas “avoir un label”, mais être reconnu. Il faut donc :
une autorité nationale de référence (ou un mécanisme d’agrément) capable d’organiser l’écosystème des certificateurs ;
des procédures auditables, des référentiels publics, une traçabilité documentaire ;
une stratégie de reconnaissance mutuelle avec les zones-cibles (MENA, Asie, Europe), en évitant le simple copier-coller d’un modèle étranger.
Condition 3 — Une stratégie “PME-compatible”
Le discours “halal = standards mondiaux” est juste, mais il peut être socialement contre-productif si les coûts de conformité excluent les PME. D’où trois impératifs :
un programme de mise à niveau (hygiène, HACCP/ISO selon secteurs, traçabilité, packaging, documentation export) ;
un dispositif de co-financement de la certification/audit pour les PME les plus prometteuses ;
un accompagnement “de bout en bout” (production → contrôle → logistique → distribution).
C’est précisément ici que l’ADEPME est pertinente, si elle se positionne comme architecte de parcours de conformité et non seulement comme organisatrice d’événements
Condition 4 — Logistique et preuve : le halal s’exporte avec des preuves, pas avec des intentions
Pour l’export, le halal est inséparable de :
la chaîne du froid, la constance qualité, la gestion documentaire,
la capacité à répondre à des audits,
la fiabilité logistique (délais, volumes, régularité).
Sans cela, l’enthousiasme se transforme en déception. Le réalisme, ici, est de commencer par des filières pilotes où le Sénégal a un avantage et où la preuve est construisible.

4) Tirer bénéfice de la “confluence” internationale sans perdre le contexte sénégalais
Par ses contacts, particulièrement sous l’initiative de Halal Sénégal, une pluralité de modèles (Malaisie, Indonésie, Turquie, Pakistan, Europe, Maroc, Dubaï, Arabie saoudite) se présente. La bonne lecture n’est pas “choisir le meilleur pays”, mais découper ce que chaque modèle apporte et de l’adosser au contexte sénégalais.
Malaisie / Indonésie : force sur l’écosystème (standardisation, dispositifs d’accréditation, articulation État-marché). Utile pour bâtir la “colonne vertébrale” institutionnelle.
Turquie : capacité à faire du halal un objet de foire, d’exposition, d’industrie, articulé à une diplomatie économique (plateformes, salons, export). Utile pour la logique “B2B + filières”.
Europe : focalisation sur conformité, traçabilité, risques réputationnels, et sur la coexistence entre exigences de marché et controverses publiques. Utile pour anticiper les débats, éviter la polarisation.
Golfe / Arabie saoudite / Dubaï : puissance d’achat, hubs logistiques, mais exigences élevées : utile comme marchés-cibles, à condition de ne pas surestimer la capacité d’absorption immédiate des PME.
Modèle maghrébin ( Maroc, Tunisie, Algérie) : Le Sénégal est dans une configuration où l’enjeu n’est pas seulement de “faire du halal”, mais de le faire sans déstabiliser l’économie morale d’un islam majoritairement soufi, socialement pacificateur, et historiquement structurant. Le modèle maghrébin apporte trois “garde-fous” utiles :déconfessionnaliser sans désacraliser : le halal est traité comme standard de conformité (hygiène, traçabilité, audits), mais la légitimité religieuse est institutionnalisée (avis, supervision, comités), ce qui évite la compétition anarchique d’autorités; prévenir l’inflation de labels : une marque/label national clarifie “qui fait foi”, réduit les controverses, et rend la confiance exportable; rendre la stratégie PME-compatible : l’appareil de normalisation permet de construire des parcours de mise à niveau graduels, au lieu d’exiger d’emblée des standards hors de portée
Conclusion : Pour le Sénégal, l’optimisme réaliste consiste à dire :
Oui, la confluence internationale est une opportunité.
Mais le succès dépend d’abord d’une doctrine nationale de confiance : un halal sénégalais exportable, qui repose sur une autorité normative lisible, une légitimation religieuse encadrée, et des preuves auditables.
Et c’est précisément là que le modèle maghrébin est précieux : il montre comment transformer une sensibilité religieuse partagée en infrastructure de confiance, sans ouvrir un champ de rivalités symboliques ni un marché de labels concurrentiels. Le filtre sénégalais doit rester triple : 1)Islam sénégalais (soufi, social, stabilisateur) : le halal doit être présenté comme économie de qualité et de confiance, pas comme frontière identitaire; avec 2)une vision de développement : le halal n’a de sens que s’il crée de la valeur localement (emploi, transformation, formalisation, export net) mais pas s’il devient une rente de label;3) ancré dans une progressivité : commencer par des filières démonstratives, produire des résultats vérifiables, puis élargir.

M. Khadiyatoulah Fall, professeur émérite, UQAC, Québec, Canada

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