La Voie du Baye Fall, une expo photo de Fabrice Monteiro sur un mouvement religieux dont l’apparence de ses pratiquants les situe à mi-chemin entre le rastafari et le sapeur africain en route pour Burning Man. Dreadlocks, Ray-Ban et amulettes représentant des vieux types enturbannés, discussion avec Fabrice Monteiro pour qu’il en dise plus sur cette religion et ses adeptes.
Salut Fabrice, vous pouvez nous raconter ce qui vous a conduit à travailler sur ce sujet ?
Je suis né de parents Belge et Béninois. J’ai étudié la photographie de mode et c’est comme ça que je me suis intéressé aux Baye Fall, à cause de leur allure si caractéristique, un mélange entre tradition africaine et modernité. J’ai réalisé une première série de portraits comme on met en place un shooting mode. J’ai choisi mes sujets, le lieu et ma lumière mais j’ai senti une forme de frustration. En 2011, je suis parti au Sénégal et j’ai basculé dans un travail photojournalistique qui a duré deux ans.
Ça m’a pris du temps car je ne voulais pas traiter le sujet comme on fait un safari photo. Il fallait aussi que je me départisse de mes préjugés judéo-chrétiens : quand j’ai fait mes premières photos, beaucoup d’éléments semblaient m’indiquer qu’il s’agissait d’une secte, mais ça m’a paru trop facile d’en rester là.
Comment avez-vous fait pour intégrer une communauté ?
Je me suis armé de patience. J’ai dû réapprendre que sur ce continent, le temps n’est rien. Par exemple, quand je faisais part d’une requête, je devais parfois attendre 12 heures sur place avant d’avoir une réponse.
Quels sont les liens entre le Baye Fall et l’islam ?
Les Baye Fall sont les héritiers spirituels de Cheikh Ibrahima Fall, le disciple de Cheikh Ahmadou Bamba qui a fondé la grande confrérie soufie des mourides au tournant du XXe siècle. Comme lui, ils se consacrent au «Ndigel», le devoir et au «Njëbellu», l’obéissance absolue qu’ils vouent au marabout. Et, comme lui, ils ne respectent pas les 5 piliers de l’islam parce que leur dévotion est un état permanent, un choix de vie. Le Baye Fall est, en gros, un islam mystique. Le mouridisme m’est apparu comme une forme de syncrétisme entre islam et traditions africaines – wolof, plus particulièrement.
Cheikh Ahmadou Bamba a lancé la construction d’une des plus grandes mosquées d’Afrique subsaharienne, la grande mosquée de Touba, mais l’iconographie – qui est rejetée par l’islam – est omniprésente chez les Baye Fall et les Mourides en général. Chaque Baye Fall porte autour du cou la photo de son marabout, parfois accompagnée de l’unique photo connue de Serigne Touba ou de celle de Cheikh Ibra.
Quel est le statut de ce marabout, exactement ?
De la même façon que les Baye Fall sont les héritiers spirituels de Cheikh Ibrahima Fall, le marabout, chez les mourides, est le descendant de Serigne Touba. Ainsi, le marabout de la confrérie que j’ai suivie pendant 2 ans, Serigne Abdou Karim M’Backé, est l’un des nombreux petits-fils de Serigne Touba. Je dirais que le marabout agit comme un guide spirituel et social pour ses «talibés», ses fidèles.
Traditionnellement, au Sénégal, chaque famille a son marabout et les enfants se tournent naturellement vers le marabout de leurs parents. Le choix de son marabout par un aspirant Baye Fall relève du libre arbitre : le jeune aspirant choisit le marabout auquel il veut faire allégeance. En fait, c’est une forme d’émancipation dans la soumission. Je reconnais que ce concept peut être difficile à comprendre pour un esprit judéo-chrétien.
Ce look qu’arborent les adeptes Baye Fall – dreadlocks, superposition de tissus – a-t-il un lien avec le rastafarisme ?
Le «Niakhass», l’habit en tissu, est constitué d’un patchwork de différents pagnes, et fait référence à Cheikh Ibra Fall qui ne portait qu’un seul vêtement qu’il rapiéçait au fur et à mesure que celui-ci s’usait. La lourde ceinture à la taille permet d’aider à supporter les longues journées de labeur sans manger.
Moi-même, j’ai toujours été sensible à la philosophie rasta et je me suis posé la question de la corrélation entre Baye Fall et rastafarisme, mais lil y a des différences notoires. Le rasta trouve son fondement dans la Bible tandis que le Baye Fall se réclame du Coran. Et même s’ils portent tous deux des dreadlocks, celles des rastas ont une section ronde tandis que chez les Baye Fall, les locks sont plates. Aussi, les rastas sont végétariens et ont sans doute une plus grande considération pour l’écologie que les Baye Fall.
Hors Sénégal, le Baye Fall est-il un mouvement important ?
Les mourides sont de grands voyageurs et de grands commerçants, il n’est pas rare d’en retrouver à New York ou à Paris. Les Baye Fall sont sur tous les continents et la grande majorité de ces expatriés est issue de la communauté mouride sénégalaise. Mais les mourides ne sont pas repliés sur eux-mêmes. J’ai déjà croisé une étudiante canadienne devenue mouride, ou un riche commerçant de Lyon converti. J’ai même entendu dire que Steven Seagal serait devenu adepte du Baye Fall.
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Avec Stephen Sanchez
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