La rupture entre les citoyens et le service public (Mamadou SY Albert)

Le Bureau organisation et méthode (Bom) constitue une des premières initiatives majeures en matière d’organisation de l’État du premier Président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. L’esprit de cette décision était inscrit dans l’amélioration du fonctionnement des services présidentiels, du gouvernement et des organes de contrôle de l’État.

Ce levier décisif sera complété par la création des corps de contrôle : Cour des comptes, Ige et organes de régulation des marchés. Force est de constater aujourd’hui une impasse notoire des institutions de contrôle du fonctionnement des services publics et de la puissance publique. Les rapports des institutions de vérification, de contrôle tout comme du reste les décisions du chef de l’État ne servent plus à grand-chose. L’État et ses institutions de contrôle entrent progressivement dans une dynamique de perte de crédibilité des fonctions fondatrices du service public. La rupture entre la puissance publique et les citoyens se creuse d’une décennie à l’autre.

L’État n’est point une abstraction. Ce sont des institutions. Ce sont aussi des hommes et des femmes travaillant sous l’autorité administrative et politique. L’État post-colonial sénégalais a mis ainsi en place un dispositif institutionnel étatique devant permettre au président de la République en exercice, de mettre en œuvre sa politique, ses orientations et ses projets de développement. Ce socle n’a pas varié depuis l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale.

Quatre présidents de la République se succèdent depuis 1960 à nos jours, aucun n’a profondément modifié les fondamentaux de ce modèle étatique dans son fonctionnement interne et externe. Par contre, chacun de ces présidents de la République a laissé son empreinte, particulièrement en matière d’organisation de l’État et des services publics. On peut attribuer la création du Bureau organisation et méthode et les institutions de contrôle au premier Président de la République, Léopold Sédar Senghor.

Le Président de la République Abdou Diouf, son successeur, a consolidé ce dispositif étatique.

Il a innové toutefois, avec la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Le Président de la République Abdoulaye Wade, artisan de la première alternance de mars 2000, a préservé ses acquis institutionnels. Son apport le plus remarquable en matière d’organisation de l’État réside dans la création des Agences rattachées à la présidence de la République et à certains ministères. Le président de la République en exercice, depuis l’avènement de la seconde alternance de 2012, n’a pris aucune initiative allant dans le sens de la création de nouvelles structures étatiques.

Le chef de l’État actuel, Macky Sall, est porté vers une amélioration des mécanismes de fonctionnement de l’État, des services ministériels. Les évaluations de l’action de l’État, les Conseils ministériels décentralisés et la méthode fast-tract, se combinent à une volonté de lutter contre la corruption et les pesanteurs bureaucratiques de l’État et des Collectivités locales. L’État est ainsi dans une logique de continuité historique depuis quelques décennies. Chaque président de la République apporte sa touche administrative et politique en fonction de son profil professionnel et des contextes politiques du moment de sa gouvernance de l’État. Le Sénégal est toutefois dans une impasse de ces institutions de contrôle. Les institutions de contrôle fonctionnent certes et établissent régulièrement des rapports confidentiels et/ou publics.

Les résultats des enquêtes approfondies mettent dans l’espace public des dysfonctionnements, des faiblesses, des carences et de la mauvaise gouvernance de l’État et des services. Ces résultats ne souffrent de doute. Ce sont des résultats objectifs et pertinents. À force produire des rapports qui ne sont d’aucune utilité publique par le donneur d’ordres, ces institutions finissent naturellement par perdre le prestige d’antan, la crédibilité institutionnelle et même le sens de leur existence. Au-delà de ce malaise grandissant de l’image des hautes administrations publiques, c’est l’État qui perd le sens du public et sa fonction fondatrice.

L’État se discrédite en refusant de se conformer aux résultats et aux recommandations des enquêtes. L’État souffre également en matière de mise en œuvre des politiques publiques de développement. La lutte engagée par le chef de l’État en matière de propreté est un exemple patent. L’initiative se politise dans sa mise en œuvre parce que simplement, les relais de l’État sont pris dans le récurrent piège politicien. La décentralisation connaît un échec quasi identique. L’Acte 3 est en train de se transformer en une politique clientéliste en raison des clivages politiciens sévissant dans des communes et des terroirs dénoués de moyens budgétaires et de ressources humaines.

Les communes seront discréditées à l’instar de l’État central, des institutions de contrôle et des projets publics de développement nationaux et locaux. Cette impasse institutionnelle va creuser davantage la relation pourrissante entre l’État politicien et les citoyens.

 

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here