Ce qui se passe depuis quelques années au sein de l’école coranique, notamment, la violence corporelle, la pédophilie, la perte des valeurs de l’Islam, ne semble pas, en apparence, résulter de l’impact de la crise globale du système éducatif arabophone. C’est peut-être une perception réductrice et superficielle de l’impact de la crise économique, sociale et culturelle accompagnée par une perte sans précédent des valeurs éducatives et religieuses, qui ne permet guère de voir la profondeur et l’ampleur de l’équation éducative coranique.
L’école coranique est réellement entrée dans un cycle de ruptures avec les héritages des grands-maîtres fondateurs de l’éducation musulmane, avec la société moderne et avec les mentalités citoyennes urbaines fréquemment sous le choc de dérives graves de maîtres d’écoles.
Les évènements et les scènes de violence corporelle se répètent à un rythme inquiétant dans les écoles coraniques ou «daara» du Sénégal. Un enseignant d’une école coranique a usé de la violence corporelle contre son élève. C’est une des actualités récurrentes traitées par les médias nationaux. Et cela dure, depuis des années, voire des décennies. Certains remonteraient au célèbre Roman de l’écrivain sénégalais, Cheikh Hamidou Kane, «L’Aventure Ambigüe» qui déjà, au début de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, évoquera cette violence aveugle.
La violence, l’exploitation des enfants «talibés» et la pédophilie constituent des indices d’une crise profonde de l’éducation coranique. Elle n’est plus ce qu’elle fut. Les grands-maîtres de l’école coranique, ceux qui ont fondé cette école de transmission du savoir et des connaissances islamiques, des bonnes pratiques musulmanes, avaient une haute mission de l’éducation coranique, des processus de la formation, de la diffusion de la culture et des pratiques d’éveil de la conscience individuelle et collective.
L’école coranique a revêtu à cette époque lointaine, une dimension culturelle et éducative singulière. Elle a formé et façonné la première élite arabophone sénégalaise. Elle a installé l’Islam au cœur des Sénégalais. Elle a été aussi et surtout, à l’avant-garde de la lutte contre le colonialisme occidental sous toutes ces formes : politique, économique, culturelle et idéologique.
Les Khalifes généraux des deux grandes confréries musulmanes, Tidjane et mouride et les guides religieux des familles musulmanes autonomes des familles Sy de Tivaouane et Mbacké de Touba, qui se succèdent depuis des décennies, ont jalousement préservé ces héritages islamiques légués par des fondateurs soufis, suivant le cachet des choix personnalisés. L’école coranique est encore et toujours dans ces foyers religieux par excellence, le cadre de formation obligatoire des disciplines se soumettant à l’ordre des hiérarchies séculaires.
Le «daara» va se modifier progressivement au fil de son histoire. Il ne sera plus celui du grand maître, chef de son école, de son système d’enseignement, de sa pédagogie et de ses mécanismes d’évaluation des apprentissages et des enseignements. Ces écoles avaient une rigueur intellectuelle, morale et politique et une finalité assurée par un encadrement méticuleux. Le «daara» sera au début des années 1980, sous le contrôle de nouveaux acteurs porteurs du message de l’Islam et de l’éducation coranique. Il est désormais animé par des maîtres coraniques, des enseignants arabophones. Cette génération des nouveaux enseignants indépendants des influences confrériques et des familles musulmanes autonomes (Tall, Kane, Niassène, Layène, Sall et Kounta), a été formée, en partie dans les familles religieuses musulmanes ou/et à l’étranger dans les pays arabes. Elle va modifier la physionomie du système éducatif coranique.
Exiger un revenu monétaire au quotidien participe naturellement à la prise en charge des frais sociaux, des charges de fonctionnement de l’école et de la survie des disciples. Ces écoles coraniques sont souvent à ciel ouvert. Dans le meilleur des cas, elles tiennent dans des endroits où l’insécurité est la norme établie. Ce glissement notoire de l’école coranique des grands maîtres vers l’école coranique de la recherche effrénée de l’argent, de quoi vivre, se soigner, a produit la présence massive des enfants talibés dans les grandes artères et carrefours des villes et des centres urbains.
La promiscuité, la pauvreté, les conditions de vie extrêmement difficiles secrètent, alors un cycle de production et de reproduction de la violence sans précédent de l’école coranique et la déperdition des mœurs à des échelles insoupçonnées par ces animateurs et les complicités des familles, des communautés, des collectivités territoriales et de la puissance publique. Les maîtres coraniques n’ont en réalité, aucun contrôle sécuritaire sur des élèves laissés à la merci de la rue, de la violence urbaine et du banditisme. Beaucoup de ces jeunes apprenants du Coran finissement mal les études.
D’autres basculent dans la déchéance sociale et morale. L’école coranique finit par se transformer en une véritable éducation éducative. Ce sont des milliers d’enfants qui sont menacés par la violence meurtrière, par la faim, l’insécurité et la rupture des liens avec la famille et la société.