La société civile traditionnelle a mené, et mène encore, les batailles du développement à la base et du renforcement de la démocratie pluraliste. Équidistante du pouvoir et de son opposition dans la lutte pour la préservation du pouvoir étatique ou sa conquête, la société civile est restée entre ces deux pôles du pouvoir et du contre-pouvoir partisan. Cette première génération de la société strictement civile ou neutre s’est essoufflée au fil de l’histoire des changements alternatifs au sommet de l’État.
Depuis quelques années, une nouvelle génération de la société civile, plus politique par sa conscience et active, a fait son irruption dans la prise en charge des questions de société. Cette société civile politique porte désormais les batailles de la transparence dans la gouvernance des ressources naturelles, le respect de la Constitution, des règles du jeu politique et la défense des libertés publiques et du pouvoir d’achat. Elle devient plus crédible, plus influente que les partis et les syndicats.
Les leaders et responsables de partis politiques de l’opposition et des syndicats des travailleurs sont de moins visibles dans les marches pacifiques de protestation contre l’augmentation du prix de l’électricité organisées depuis quelques semaines par la société civile dans la capitale et à l’intérieur du Sénégal. Ils étaient absents ou presque des manifestations contre la gestion non transparente des ressources naturelles du pays, singulièrement, dans les affaires du pétrole et du gaz. Ils sont aussi absents, quand il faut défendre les libertés publiques et la défense des droits humains des femmes, des jeunes. Ils sont surtout absents dans les régions où les populations rurales ne cessent de réclamer l’accès à l’éducation, à la santé et aux mieux-être.
On pourrait multiplier les exemples de lutte d’un peuple en souffrance pour illustrer l’effacement des organisations politiques et syndicales dans le domaine de la protection des libertés publiques, des droits humains, des libertés collectives et individuelles, du pouvoir d’achat des travailleurs et des populations les plus faibles économiquement. Ce phénomène de retrait du champ social, culturel et économique de la revendication légitime, semble lié à un essoufflement des partis et des organisations syndicales. La marche, la protestation énergique par les communiqués ou des conférences de presse, n’est plus un exercice privilégié de ceux qui ont incarné jadis, la lutte politique et syndicale par la rue ou la dénonciation des conditions de vie des couches sociales les plus affectées par la gouvernance étatique.
L’état de crise larvée du sens des responsabilités politiques et des syndicales se conjugue à une mutation générationnelle. Les partis et les syndicats n’ont pas réussi à se renouveler au sommet. La vieille garde conserve tous ses pouvoirs de décision et d’influence. A priori, c’est une explication plausible du retrait des partis et des syndicats des luttes touchant directement ou indirectement à la gouvernance politique des affaires publiques.
En désertant la rue, la défense des conditions de vie des populations, des travailleurs, les responsables de partis et des syndicats sont de plus en plus tournés vers la recherche de solutions corporatistes syndicales ou des solutions clientélistes et de compromis politiciens. La désaffection des partis et des syndicats est une des conséquences de ce basculement des syndicats et des partis vers l’embourgeoisement des responsables et des cadres administratifs et techniques. Le partage du pouvoir et des privilèges au sommet des hiérarchies politique et syndicales, est désormais le dénominateur commun des objectifs d’un renoncement aux luttes par les responsables politiques ou syndicaux.
Ce renoncement à la lutte démocratique et à la bonne gouvernance politique et économique, laisse ainsi le champ libre aux nouveaux acteurs de la société civile politique. Contrairement à la société civile traditionnelle des années d’alternances en 2000 et 2012, circonscrivant en priorité ses combats démocratiques dans un esprit équidistant du pouvoir et de l’opposition, la nouvelle génération de la société civile politique ne fait pas de ce critère de l’équidistance une barrière infranchissable et une religion.
La nouvelle société civile politique est à la frontière des luttes démocratiques, des luttes politiques et économiques entre le pouvoir et son opposition. Cette génération porte très fortement d’ailleurs les jeux du dialogue politique, du dialogue pour des consensus politiques, la défense des intérêts des populations et des travailleurs. Ce choix de prendre en charge les questions de société et de gouvernance, fait de cette génération un acteur social et politique plus que jamais consciente de ses responsabilités. Elle est plus influente que les partis et les organisations syndicales.
L’avenir édifiera quant aux capacités de la nouvelle génération de la société civile à mener des luttes démocratiques et de gouvernance victorieuses, et à préserver son indépendance, du pouvoir étatique et des partis de l’opposition…