Blouson de cuir marron, larges lunettes de soleil dissimulant une partie de son visage, bras croisés derrière le dos dans une posture de défi… En ce jour de décembre 2011, Barthélémy Dias a tout du gangster. Sur la vidéo, on le voit sortir de sa veste deux armes à feu avant de les braquer sur les hommes qui lui font face, de l’autre côté de la rue. Et tirer, à plusieurs reprises. De cet épisode lui est resté le sobriquet de « cow-boy ». D’ailleurs, il le dit lui-même : « ce jour-là, c’était le Far-West ».
Ce 7 juin 2021, c’est un homme d’un tout autre style qui nous accueille chez lui. Affable et disponible, en chemise bleue sur laquelle il s’empresse de passer une veste, il nous reçoit dans la maison familiale où il est né et a grandi, à deux pas de sa mairie. Et revient volontiers sur cet épisode marquant de sa vie et de sa carrière politique : « C’était il y a dix ans, mais rien n’a changé. Nous redoutions un troisième mandat à l’époque, nous redoutons un troisième mandat aujourd’hui. »
Fervent opposant à la candidature de l’ex-président Abdoulaye Wade en 2011, Barthélémy Dias était en détention préventive lorsque ce dernier avait finalement perdu la présidentielle du 26 février 2012. Et c’est depuis sa cellule de la prison de Rebeuss qu’il avait appelé à soutenir la candidature de Macky Sall. Mais il a rapidement pris ses distances avec le chef de l’État et il en est désormais convaincu : Macky Sall rêve, comme son prédécesseur avant de lui, de conserver le pouvoir au-delà de son deuxième mandat.
Le 17 mai dernier, il officialisait donc sa candidature à la mairie de Dakar, coupant l’herbe sous le pied à Taxawu Dakar, le mouvement auquel il appartient. Regroupé autour de l’ex-maire de la capitale, Khalifa Sall, Taxawu Dakar n’a pas encore désigné son candidat. « Il fallait qu’il officialise sa candidature pour que les gens se réveillent », glisse l’un des proches de Barthélémy Dias.
« Notre maître mot, c’est le consensus. Aux élections locales, c’est aux militants de choisir leurs équipes, affirme pourtant Moussa Taye, membre de Taxawu Sénégal et conseiller politique de Khalifa Sall. Après, qu’il y ait des déclarations de candidature spontanées, c’est normal. C’est une bonne chose que l’on puisse comprendre les ambitions des uns et des autres. » L’actuelle maire de Dakar, Soham El Wardini, a quant à elle fait savoir qu’elle était prête à se présenter si le mouvement la désignait.
« Taxawu Dakar a fait son temps et n’aura pas de candidat à la mairie de Dakar », tranche pourtant Barthélémy Dias. Et s’il n’est pas suivi, tant pis : « Ma candidature s’impose et ne saurait être conditionnée à un mouvement ou un parti. Mais si on me démontrait qu’elle était néfaste pour l’opposition dans le contexte des locales, je me retirerais ». Il n’ajoute pas « mais j’en doute », mais le pense apparemment très fort. « Au sein de Taxawu Dakar, Barth’ peut avoir ses chances d’emporter la capitale, juge un membre de l’opposition. Mais il lui faudra gagner un maximum des 19 communes pour être élu ! Sans l’appui du mouvement, il n’y arrivera pas. »
C’est autant par conviction que pour se faire un prénom que Dias fils s’est engagé au Parti socialiste (PS). Très vite, il convoite la tête des jeunesses socialistes et l’obtient en 2007 après avoir gravi un à un les échelons de la formation. La position, qui le place de facto sur les listes électorales pour les locales, lui permet de devenir en 2009 le plus jeune maire du Sénégal. « Il a donné du tonus au PS, insiste Djibril Faye. C’est lui qui a initié une opposition plus forte chez les socialistes. »
À l’époque déjà, son côté « grande gueule » et son ambition irritent. Barthélémy Dias aime la bagarre et ne s’en cache pas. Un style hérité des années qu’il a passées aux États-Unis, de ses 15 à ses 30 ans ? Préférant le « combat de rue au combat des idées », il est souvent considéré comme trop « radical » . En 2016, il s’agace de voir le PS louvoyer et se demander s’il doit présenter un candidat à la présidentielle de 2019. Il a trouvé son champion, ce sera Khalifa Sall.
Mais Ousmane Tanor Dieng, alors secrétaire général du parti, refuse de s’émanciper de la coalition présidentielle, une ligne qui précipite la rupture avec les « khalifistes », qui l’accusent de vouloir plonger le PS dans un « coma artificiel ». Contre l’avis de Tanor, ces derniers choisissent donc de militer pour le « non » au référendum constitutionnel de Macky Sall. Ils échouent, mais Barthélémy Dias est lancé. Il débute une tournée politique à travers le pays pour engranger des soutiens. « Le train est en marche, à chaque gare, des gens montent et d’autres descendent », observe alors Khalifa Sall.
Aujourd’hui encore, l’atonie d’une partie de l’opposition, qui peine « à s’assumer et à assumer », l’agace. Y compris chez celui qu’il considère tout à la fois comme son « ami », son « grand frère » et son « leader politique » : Khalifa Sall. « Ce que les uns et les autres ont à faire pour s’unir, ils le savent très bien. C’est là leur salut. Pas en cherchant des compromis mous ou en négociant des amnisties qui n’engageront que ceux qui y croient. » Car Khalifa Sall, toujours inéligible, n’a d’autre choix pour récupérer ses droits civiques et politiques que d’obtenir une révision du code électoral ou une loi d’amnistie.
« [Khalifa Sall] doit se battre pour exiger sa réhabilitation ! Ce n’est pas en ayant cette attitude au niveau de l’opposition, en refusant de se mobiliser, de manifester, de se battre, qu’il obtiendra quoi que ce soit, s’emporte Barthélémy Dias, qui a toujours défendu bec et ongles l’ancien maire de Dakar. La politique, ça n’est pas de la diplomatie. »
En se présentant à la mairie de la capitale, il espère donc à la fois « sauver Dakar » et donner un nouvel élan au combat contre Macky Sall. « Le pouvoir a combattu Dakar. Il n’arrive pas à gagner la ville, donc il veut la faire disparaître », analyse Barthélémy Dias. Bastion de l’opposition depuis 2009, Dakar tombera-t-elle dans les mains du camp présidentiel en 2022 ?
Pour l’heure, si l’opposition « discute » et « peaufine sa stratégie », aucune coalition n’est encore en vue. « Ceux qui ne voudront pas s’allier seront dans une logique de sabotage », conclut Barthélémy Dias. Le député-maire est prêt, une fois de plus, à aller au combat.