Le marathon judiciaire de l’ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme se poursuit à Paris. Lamine Diack est soupçonné d’avoir étouffé des cas de dopage russes en échange de pots-de-vin et détourné de l’argent de sa fédération.
Par Gamal Abdel NASSER
Dans le cadre du dossier de l’ex-patron sénégalais de l’athlétisme mondial et ses cinq co-prévenus, dont son fils Papa Massata Diack, la Cour s’est intéressée aux contreparties qu’aurait obtenues Lamine Diack en échange du ralentissement des procédures de sanctions des athlètes russes suspects. Hier, pour le deuxième jour de son procès, la 32e chambre correctionnelle a aussi jugé cinq autres prévenus.
Ces derniers sont aussi poursuivis pour leur implication présumée dans un système de corruption destiné à protéger des athlètes russes dopés. Il s’agirait de contrats de sponsors et de droits télévisés pour la fédération, mais aussi d’un financement de l’opposition à Abdoulaye Wade pour les campagnes électorales de 2012 au Sénégal.
Ainsi, tout serait parti d’un mail de Pape Massata Diack qui risque d’enfoncer davantage son Père Lamine Diack. Un mail datant de juillet 2013 de Papa Massata Diack, à propos d’un cadre de l’Iaaf, qui s’étonne de la présence d’athlètes russes suspects aux Mondiaux, a mis les enquêteurs sur la piste. «Il lui a été clairement expliqué le rôle politique joué par la Russie dans les combats politiques au Sénégal entre novembre 2011 et juillet 2012, présidentielle et législatives», écrit-il à son père, Lamine Diack.
Des interactions qui constituent aujourd’hui un géant puzzle. D’abord le Français Gabriel Dollé, qui a été le premier à être entendu lundi lors de l’ouverture du procès. Appelé à la barre, Dollé, âgé de 78 ans, a voulu minimiser sa responsabilité, assurant avoir cherché un compromis entre «l’intérêt supérieur» de l’Iaaf et la mise à l’écart d’athlètes russes dopés. Il fallait éviter «un scandale» pour sauver les sponsors de l’athlétisme, a-t-il déclaré.
Quant à Lamine Diack, au second jour de son procès, il ne s’est exprimé qu’une demi-heure en toute fin d’après-midi, sans aborder encore le fond de l’affaire. C’est un Lamine Diack vêtu d’un élégant boubou blanc qui tranchait avec les costumes cravates de ses co-prévenus, qui a tout de suite réveillé l’assistance, après une journée entière consacrée à l’interrogatoire, parfois technique et aride, de son ancien conseiller juridique Habib Cissé. D’un débit rapide, pas toujours intelligible, le natif de Dakar a d’abord raconté comment le sport l’avait tiré vers le haut, lui l’adolescent «rachitique» raillé par l’un de ses frères, convaincu qu’il n’y arriverait jamais. L’ex-président de la Fédération russe d’athlétisme, Valentin Balakhnichev, qui fut aussi trésorier de l’Iaaf, et l’ex-entraîneur national Alexeï Melnikov ne devraient pas être présents à Paris. Tous deux visés par un mandat d’arrêt international, ils sont soupçonnés d’avoir participé aux versements des pots-de-vin pour protéger leurs athlètes. Lamine Diack a affirmé aux enquêteurs que M. Balakhnichev avait participé au financement de campagnes électorales au Sénégal lors des élections présidentielle et législatives en 2012. M. Diack voulait alors favoriser la victoire de l’opposition. Les Russes, eux, souhaitaient étouffer les cas de dopage de leurs athlètes, notamment avant les Mondiaux d’athlétisme organisés à Moscou en août 2013. L’opération se serait conclue pour 1,5 million d’euros, selon Lamine Diack.
L’ancien Président Wade fut l’homme à abattre avec un trésor de guerre
Lamine Diack, mis en situation à travers une confrontation, va confier ceci : «J’avais dit qu’il me fallait un million et demi de dollars pour battre Abdoulaye Wade. La Russie a financé», déclare Lamine Diack aux enquêteurs.
Ainsi Lamine Diack reconnaît l’existence d’un accord avec Valentin Balakhnitchev, alors trésorier de l’Iaaf et président de la Fédération russe d’athlétisme. Toutefois, souligne la présidente, il ne précise alors ni le nom des destinataires ni les modalités de financement, se bornant à pointer : «C’est mon fils, Papa Massata Diack, qui devait coordonner tout cela avec Balakhnitchev».
Cependant du coté des Russes, la version est claire : «L’aide venait nécessairement du gouvernement», déclare l’ex-patron de l’Iaaf aux enquêteurs auxquels il indique aussi avoir évoqué la situation politique sénégalaise avec le ministre russe des Sports en novembre 2011.
Pour rappel, devant les enquêteurs, Lamine Diack avait également évoqué un financement politique russe antérieur qui date de 2009 et qui n’entre donc pas dans le cadre des poursuites actuelles. À l’époque, il avait déjà sollicité une aide pour les municipales en demandant à Valentin Balakhnitchev de passer le message au Président Vladimir Poutine, qu’il avait rencontré en 2006.
«Le message est passé. L’ambassadeur de Russie à Dakar m’a contacté. La Russie a donné 400-450.000 euros pour la campagne», déclare alors Lamine Diack aux enquêteurs, en indiquant que l’argent a servi à financer notamment des véhicules et des meetings.
Son ex-conseiller, l’avocat Habib Cissé, était lui aussi hier à la barre, pour s’expliquer sur son rôle et les autres contreparties présumées liées aux sponsors et droits télévisés. Une affaire à suivre …