Aussitôt atterri, aussitôt arrêté ! Le patron de la messagerie chiffrée Telegram a été interpellé par la police française samedi à l’aéroport du Bourget. Sous le coup d’un mandat de recherche en France, le milliardaire d’origine russe et naturalisé français depuis trois ans devait être présenté à un juge dimanche. Le fondateur de Telegram venait de Bakou (Azerbaïdjan) et devait passer au moins la soirée à Paris où il avait prévu de dîner selon l’AFP.
L’homme de 39 ans va devoir répondre du laisser-aller et de l’absence de modération qu’il revendique sur la messagerie aux 900 millions d’utilisateurs qu’il a cofondé avec son frère Nikolaï. Après un premier succès en Russie avec la création d’un Facebook en cyrillique en 2006 (VKontakte), le duo se présentait comme des opposants à la mainmise du Kremlin sur la tech locale avec cette application promettant un secret total des correspondances.
Mantra libertarien
Problème, ce mantra libertarien a tout autant attiré des personnalités politiques avides de confidentialité que des criminels, des terroristes et des réseaux pédophiles. Alors que l’utilisation de l’application par des suspects revient très fréquemment dans diverses enquêtes, Telegram – contrairement à son rival WhatsApp – ne coopère pas du tout avec la police. La justice française s’était donc saisie du dossier.
Dans le détail, l’Ofmin, chargé de la lutte contre les violences faites aux mineurs, s’intéressait depuis quelques mois à Pavel Durov en coordination avec d’autres services afin d’établir sa possible complicité au titre de directeur général de Telegram pour des infractions allant de l’escroquerie au trafic de stupéfiants, au cyberharcèlement, à la criminalité organisée en passant par l’apologie du terrorisme et la fraude. « En France, les attentats de 2015 et 2016 avaient déjà souligné le rôle privilégié de Telegram dans le relai de la propagande, du recrutement et du financement du terrorisme », rappelle Julien Nocetti, chercheur associé spécialiste de la Russie et des technologies à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Cette arrestation tombe au moment où Pavel Durov voyait arriver le succès pour son application. Dans une interview au « Financial Times » il y a quelques mois, il insistait sur la monétisation de son audience. A le croire, Telegram génère des « centaines de millions de dollars » de revenus via des espaces publicitaires dans l’application, des frais sur les paiements en cryptomonnaies et des abonnements premium. Même si la marche est haute et si la dette de la société reste importante, il visait d’en faire une affaire rentable en 2025, voire dès 2024. Il faisait aussi planer l’idée d’une cotation à Wall Street.
Mais la sulfureuse réputation du patron continuait de le poursuivre. Dans le contexte du conflit entre l’Ukraine et la Russie, l’indépendance affichée de l’homme d’affaires exilé à Dubaï ne convainquait pas tout le monde alors qu’il paraît impossible qu’il ait connu le succès en Russie sans liens avec le pouvoir. Sur des canaux pouvant réunir des milliers de personnes, Telegram est par ailleurs un relais important de désinformation d’origine russe. Son interpellation a suscité de nombreuses réactions internationales. «#FreePavel », a publié sur X le patron de la plateforme, Elon Musk, avant de publier un nouveau message en français disant « Liberté. Liberté ! Liberté ? ».