Macky Sall, le président de l’Alliance pour la République et de la coalition majoritaire Benno bokk yakaar, a réussi à museler son parti et son alliance stratégique. Ces deux leviers politiques ont été réduits depuis sa reconduction à la tête du Sénégal, au soutien à l’action du chef de l’État. Le traitement des grandes questions de la société sénégalaise est désormais l’apanage exclusif du maître du jeu. Il a fixé des règles de conduite infranchissables ou presque. Le soutien dans le silence et la discipline ou le remerciement. En attendant la prochaine tempête des élections locales ou le débat du troisième mandat tant attendu, le ton est à la fermeté au Palais Présidentiel.
Silence, le président de l’Alliance pour la République et de Benno bokk yakaar gouverne. Il dirige seul les destinés de la majorité présidentielle et du Sénégal. Depuis la décision supprimant le poste de Premier ministre, le chef de l’État a repris tous les leviers de la chaîne de commandement du pouvoir exécutif. Le pouvoir étatique décide dans ce cercle restreint du périmètre présidentiel. Le président de la République concentre ainsi tous les pouvoirs sous sa forme fast-tract.
Ce tournant politique exceptionnel de la seconde alternance se combine à un autre tournant imprimé à la relation entre le parti présidentiel, la majorité présidentielle et son acteur principal. Le maître du jeu politique de l’Alliance et de la majorité incarne la seule autorité habilitée à traiter et à donner des instructions et des directives sur les grandes questions de l’heure. Le troisième mandat potentiel en 2024, les préoccupations politiques au centre du dialogue national et du dialogue politique, constituent un domaine réservé du président de l’Apr et du Benno bokk yakaar.
Au mieux, les militants et responsables de la mouvance présidentielle peuvent prendre la parole dans le cadre du dialogue -politique et national – mais à condition qu’ils soient dûment mandatés par les instances régulières dépendante du reste de la volonté exclusive du chef de la majorité. Un commandement, un chef et des troupes obéissant à l’œil et au doigt du président de la République devenant le tout puissant de la majorité.
Ces deux tournants marquant une concentration du pouvoir de décision et une distribution démocratique plus sélective de la parole de la majorité, placent l’Apr et le Benno bokk yakaar dans un état de musèlement rappelant les périodes du parti unique et du chef suprême de la mouvance présidentielle. On n’est pas loin de l’ère du président à vie. La majorité, c’est son chef et inversement, le chef est l’incarnation de l’autorité incontestée et incontestable.
L’Apr finit par ne plus exister en tant que parti gouvernant. Le Benno bokk yakaar se confine à des déclarations solennelles de soutien sans réserve à la politique définie par le président de la République et mise en œuvre par lui-même. Cette ligne de conduite est la ligne rouge à ne point franchir. Elle fixe des règles infranchissables. Les responsables de l’Alliance pour la République qui ont tenté d’exprimer des idées subversives des hiérarchies, de la discipline et des choix contraires à la pensée du chef du parti présidentiel, ont été purement et simplement exclus par le bras armé du président du parti présidentiel, en l’occurrence, la commission de discipline de l’Apr. D’autres responsables frustrés par la nouvelle démarche présidentielle n’ont plus accès au président du parti et de la coalition.
Le message présidentiel est apparemment passé et circule bien dans les rangs de la mouvance présidentielle. Plus de responsable parmi les responsables républicains et des alliés ne prendrait le risque de ramer à contre-courant de la volonté du président de la République, du chef de la majorité présidentielle et de l’Alliance. C’est le musèlement de la majorité présidentielle. Les acteurs de la mouvance présidentielle attendent certainement ce qui sortira du dialogue national. Il n’y aura pas de surprise susceptible de remettre en cause le schéma de gouvernance en cours. Les élections locales prochaines risquent pour autant être un moment de vérité pour le chef de l’Apr et de Benno bokk yakaar.
Le musèlement pourrait être rompu par des responsables républicains et des partis alliés. Il ne fait l’ombre d’un doute que le silence imposé par le président de l’Apr et de Benno bokk yakaar sur les grandes questions de société et d’orientation politique, ne résistera point à la guerre des positionnements à l’intérieur des rangs des partisans républicains et les conflits entre l’Apr et certains des alliés du chef de l’État. Il y aura une guerre fratricide inéluctable. Une guerre indispensable est nécessaire entre les alliés.
Ces conflits futurs pourraient affecter l’autorité et l’unité de la majorité présidentielle à l’occasion des élections locales, à l’instar d’ailleurs des locales de 2014. À l’époque, malgré l’invite du président de l’Apr pour constituer des alliances locales à partir du noyau des forces soutenant l’action du président de la République, de nombreux responsables républicains passeront outre la consigne présidentielle. Les prochaines élections locales constitueront un véritable test de l’unité de la majorité présidentielle et des capacités du président de la mouvance présidentielle à museler sa majorité.