Connu comme une voie de rapprochement de Dieu le soufisme se présenta au Sénégal sous la forme d’une mystique fondée sur la méditation profonde du Coran, l’amour et l’imitation du Prophète Mohamed PSL.
Ce mysticisme engendra la propagation de l’islam par le truchement de confréries à la tête desquelles se trouvaient des marabouts charismatiques, guides spirituels éclairés qui eurent un succès populaire à l’époque coloniale et dont les descendants aujourd’hui encore, bénéficient d’une grande aura auprès des masses populaires.
La stupeur et l’émoi suscités par la disparition le 15 mars dernier de Serigne Cheikh Tidiane SY « Al Makhtoum », Khalife Général de la confrérie des Tidjanes nous amènent à tenter d’analyser, à travers ses propos et les actes qu’il posa, le sens et la portée de sa mission.
Pour des raisons compréhensibles, nous nous garderons, cependant, de chercher à éclairer l’aspect ésotérique de cette mission ou à faire connaître l’essence et l’itinéraire mystiques de ce guide religieux.
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Né en 1925, fils du Khalife Ababacar SY (1885-1957), Serigne Cheikh Tidiane SY n’avait que 35ans en 1960 au moment où le Sénégal accédait à l’indépendance, mais il s’était déjà distingué par son charisme personnel, par la relation de proximité qu’il avait avec son vénéré père, et aussi par son anticonformisme, en matière d’habillement (il troquait souvent le boubou au complet-veston) de comportement vis-à-vis de la technologie occidentale (il fit installer une ligne téléphonique, et acheta une automobile, à l’intention de son père) enfin l’année précédente il était entré dans le landerneau politique en créant et dirigeant un parti.
En somme, une ouverture à la modernité qui s’était exprimée grâce à l’esprit d’initiative, l’audace, la volonté et la détermination, toutes choses qui étonnèrent bon nombre de gens, dans tous les milieux, à cette époque ; traditionnalistes mais aussi au sein des membres de l’élite occidentalisée
Abreuvé de différentes cultures (wolof, islamique, arabe, française) le marabout était conscient du caractère profond de l’empreinte de la modernité (dont la colonisation était la matrice) sur la société traditionnelle africaine et de l’irréversibilité du processus de modernisation. C’était pour lui une question de bon sens : par exemple,à la difference de bon nombre des gens de l’epoque, il considerait le téléphone et la voiture d’abord comme une nécessité avant d’être un luxe. Ainsi Serigne Cheikh comme on l’appelait, fit preuve d’un sens étonnant de l’histoire.
Il est évident que le marabout moderniste était résolu de concilier la modernité avec la foi musulmane. Ce qui donnait encore plus d’épaisseur à son projet, à sa mission. « Diiné munul xexx ada ! » « la religion parait impuissante face aux traditions et coutumes d’un autre âge! » Il prit à son compte ce propos de son illustre grand- père Seydi El Hadj Malick SY (1855-1922), et conséquemment, il choisit de mener le même combat pour faire triompher les préceptes de l’islam. Pour lui cependant, ce n’était là qu’un idéal à un moment où l’on parlait d’un « islam noir »
Fidélité est mouvement
Sans abandonner l’usage des structures d’accueil, de formation et d’encadrement des talibés qu’étaient les dahiras (crées et développés par son père) qui étaient en même temps des cadres formels de rencontre (ziarra, gamou) avec ces derniers, Serigne Cheikh devenu l’un des marabouts les plus influents du pays, ne cessait de prêcher par l’exemple son ouverture à la modernité. On l’a dit : naître dans une famille (ou un clan) pour un Africain c’est y être « incorporé », « façonné », y voir son être « modifié » et « déterminé » à se comporter de manière conforme à celle de la communauté. Il fallait libérer l’individu. Dans ces sociétés où selon Levy Bhrul on ignore « l’identité et la contradiction »
« Nuru sa baay nuru jamanoko gueune ! » Guide inspiré, Serigne Cheikh reprenait ici en l’adaptant au contexte islamo-wolof, une vieille maxime arabe selon laquelle les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leurs pères. Il choisit d’en faire une exhortation voire une injonction, faisant ainsi peser tout le poids de son influence sur les talibés. C’était aussi une invite à ne pas faire la confusion entre le passé et l’histoire .« Histoire bu dafarul jamano, bayiko ! ndax amatul ndiarigne ! »
Mais de quelle liberté s’agissait-il pour façonner l’âme du talibé ! Pour Serigne Cheikh ce n’était pas celle d’un Prométhée qui défia les dieux pour se libérer ni celle de Roméo et Juliette deux tourtereaux obsédés par la recherche du bonheur sur cette terre, mais plutôt une liberté relative, limitée par la conscience de l’au-delà et sa félicité éternelle. Libre mais responsable devant Dieu !
A la veille de l’indépendance les autorités coloniales, bien qu’entretenant de bons rapports avec les chefs religieux musulmans s’attachèrent à transmettre le pouvoir politique à l’élite formée dans les écoles modernes (locales ou métropolitaines). Les marabouts savaient que c’était l’aboutissement logique du processus de décolonisation enclenché depuis la fin de la 2e guerre mondiale. Mais comme l’indépendance devait aussi signifier la souveraineté recouvrée (théoriquement tout au moins) Serigne Cheikh ne pouvait admettre que la constitution du Sénégal, Etat encore autonome, fût élaborée, approuvée et promulguée sans qu’elle ne fît l’objet d’un consensus entre les forces politiques et religieuses. Pour le marabout moderniste, cette «constitution imposée » au peuple (en même temps que celle de la fédération du Mali naissante) qui proclamait la laïcité de l’Etat et consacrait le règne du droit positif, et la non-reconnaissance officielle du droit musulman n’était pas adaptée aux réalités sénégalaises, précisément à l’existence d’une majorité de musulmans. Des musulmans pour qui le colonisateur avait même crée une justice (à l’autorité limitée, il est vrai au mariage, divorce et à la succession) lorsqu’ ils étaient citoyens des quatre communes du Sénégal.
Cela se passait au début de l’année 1959 et après que la constitution fut promulguée suite à un vote des députés et non à un référendum, comme prevu, Serigne Cheikh Cheikh décida de créer le Parti de la Solidarité Sénégalaise (PSS), première formation politique placée sous la bannière islamique. Auparavant, il prit soin de consulter les khalifes des différentes familles religieuses ainsi que les principaux marabouts et chefs coutumiers du pays. Tout cela en perspective des élections législatives prévues le 22 mars 1959, pour une victoire du nouveau parti ; autour du quel Serigne Cheikh avait rallié des personnalités de différents horizons comme Ibrahima Seydou NDAW, président de l’Assemblée législative qui démissionna de ce poste pour être aux côtés du marabout contre ses ex camarades de l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS), Me Omar DIOP, avocat st-louisien, des marabouts… Dans un de nos ouvrages nous avons relaté comment ce mouvement religieux islamique se heurta aux forces conservatrices, puissantes à l’époque, dans un contexte historique plein d’incertitude, de bouillonnement et de confusion politiques. Nous pensons qu’il n’est pas nécessaire de faire un nouveau développement sur ce ce sujet dans le cadre strict de cette analyse.(1)
A la base de la civilisation matérielle et de la modernité il y a la science et sa fille, la technique… « Prêche au nom de ton Seigneur, lui qui a crée l’homme » « Prêche, ton Seigneur étant le Très Généreux qui enseigna par la plume et enseigna à l’homme ce qu’il ne savait pas » « S96 V1 du Coran »
Deux hadiths pour expliciter ces versets 1). Le Prophète Mohamed (PSL) a dit « la recherche de la science est une obligation pour chaque musulman et chaque musulmane 2) « Enseignez la science, car celui qui l’enseigne craint Dieu et qui la désire, l’adore, qui en parle, loue le Seigneur ; qui se dispute pour elle, livre un combat sacré ; qui la répand distribue l’aumône aux ignorants et qui la possède, devient un objet de vénération et de bienveillance. » Pour Serigne Cheikh méditer sur ce qui constitue l’univers permet de mesurer la Toute- Puissance d’Allah
et par conséquent, voir sa crainte s’accroitre jusqu’à la révérence. L’immobilité n’est qu’apparente, tout est mouvement on le sait, depuis l’époque des philosophes présocratiques, la dialectique aussi on l’a connue ces temps-là et Serigne Cheikh connaissait la philosophie hellénistique. Il n’hésitait pas à dire, lors d’une de ses nombreuses rencontres avec les talibés :« Yallah du la may accara bi nga koy niane, ndax mu ngi yor ay galaxies ! » Allah ne te donnera pas la galette de haricot-niébé que tu lui demandes, car Il dispose des galaxies,»(2) Une boutade qui émane d’un esprit fécond qui allait au fond des choses et pour qui c’était une manière d’inciter à apprécier la Toute -Puissance d’Allah. Pour Serigne Cheikh, le chemin de la spiritualité c’était la méditation du Coran , (la parole d’Allah), la crainte du Créateur ,la liberté- responsabilité, la confiance absolue en Allah, et enfin considérer cette vie ici-bas sous l’angle de la recherche, de l’acquisition et l’enseignement de la science.
- B. DIOP « Le Sénégal, à l’heure de l’indépendance, le projet politique de
Mamadou DIA 1957-1962 » Editions l’harmattan Paris 2007 290 pages
- Une galaxie et selon le Larousse« un vaste ensemble d’étoiles et de gaz ! L’univers est constitué d’innombrables galaxies. Notre galaxie est la voie lactée
Le Hadith ne dit-il pas ? « les savants sont les heritiers des Prophétes. Ceux-ci n’ont laissé ni héritage, ni dirham, ni derhem, mais seulement la science. Ceux qui ont recueilli cet héritage ont acquis une grosse part du bonheur. »
Quiconque suit une voie pour aller à la science, Dieu lui facilitera la voie qui mène au paradis » Agent du changement social résolu et déterminé, Serigne Cheikh fit preuve d’une générosité sans pareille pour éveiller les esprits et les consciences « Yéeté ak Waraaté.» Accomplir sa mission c’était prêcher à l’intention de tous les musulmans sans considération d’appartenance confrérique.
« Instruire les vieux, c’est écrire à la surface de l’eau
« Instruire les jeunes, c’est graver sur le roc »
Le guide spirituel avait mené son action sociale principalement en direction des jeunes, il avait fini par abandonner le gamou traditionnel, veillées nocturnes où les jeunes avaient souvent bien du mal à donner libre cours à leur réceptivité. Il choisit la conférence comme mode de transmission du savoir et il rassemblait des talibés (jeunes sortis des daaras, élèves, étudiants et adultes) autour de thèmes d’éducation religieuse plus adaptés à leur niveau intellectuel, leur état psychologique et moral leurs préoccupations quotidiennes. Surtout à cette époque de crise économique et sociale, de crise des valeurs. En plus de son sens inné de la pédagogie (ajoutons que la répétition étant vertu pédagogique, il savait en user pour ancrer les choses dans les esprits), Serigne Cheikh savait drainer les foules, par sa grande éloquence, la profondeur et la diversité de ses connaissances.
« L’Islam bu la tolu ci dolem deug ci Sénégal, doctor yi avocats yi, magistrats yi, ingénieurs yi, diangalekate yi nioye done imamous diakayi ! » l’Islam se sera vraiment développé au Sénégal quand les médecins, les avocats, les magistrats, les ingénieurs, les enseignants deviendront les imams des mosquées ! »
Nous avons cité de mémoire. Ce propos du guide témoignait de son profond désir de transformer l’organisation sociale de notre pays. L’histoire c’est le changement dans le processus de vie d’évolution ou de transformation d’un espace social. En s’imaginant cette situation idéale où les élites occidentalisées qu’autant enracinées dans les valeurs de culture islamiques et négro- africaines deviendraient des voix autorisées de l’Islam, Serigne Cheikh avait fortement œuvré pour changer les structures sociales et les mentalités par des idées novatrices et par les actes qu’il posait en ce sens. Un savant dosage de l’enracinement et de l’ouverture ne peut que donner le sens de la mesure et de l’équilibre. Or l’islam est une religion d’équilibre et de mesure. Sur le plan économique : après une expérience comme transporteur il était devenu, un moment, dirigeant d’entreprise industrielle.
Serigne Cheikh à trois reprises dans l’histoire récente du Sénégal s’était engagé dans l’action pour changer le cours du destin de notre pays. « On peut dire que l’action historique c’est le changement social vu sous l’aspect de ceux qui y contribuent d’une manière positive ou négative. Ou encore c’est cette part de l’action sociale qui est axée sur l’innovation, soit pour la diffuser, soit pour s’y opposer » Guy Rocher.
Serigne Cheikh désirait ardemment ce changement social, en agissant inlassablement pour influencer l’orientation de la société sénégalaise. Jeune marabout, il s’engagea dans la voie de la modernité. En 1959, ainsi que nous l’avons montré, il s’opposa activement à l’adoption d’une constitution qui au nom de la séparation de la religion et de l’Etat avait été rédigée sans consultation des familles religieuses. Après l’indépendance, fidèle à lui-même, parce que sans doute mystiquement inspiré pour changer de stratégie, Serigne Cheikh continua la lutte pour le changement social en propageant des idées et des valeurs nouvelles axées sur la recherche de la science et l’éducation religieuse. Surtout parmi les jeunes. Et finalement la création en 1980 du Dahira Al Moustarchidina Wal Moustarchidati dirigé par son fils Serigne Moustapha allait dans ce sens. Pendant de longues années ces jeunes bénéficièrent des conférences publiques de Serigne Cheikh, jusqu’au moment où il se retira de la vie publique.
C’est encore Guy Rocher qui définit le changement social : « Toute transformation observable dans le temps, qui affecte d’une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère la structure ou le fonctionnement de l’organisation sociale d’une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire »
Il est vrai que ce propros de Seydi El Hadj Malick SY repris par Serigne Moustapha SY dans une de ses causeries religieuse est toujours d’actualité « Les chefs religieux oublieront leurs obligations par rapport à l’Islam si le sort les situe entre la quête de l’argent et celle du prestige ». C’était un avertissement à peine déguisé à certains marabouts de son époque. Aujourd’hui force est de constater que cette recherche effrénée de l’argent et des biens matériels pour acquérir le prestige social (en ouolof, « Am dereum ak alal pour am daradja ») détermine bon nombre de gens parmi nous y compris dans les hautes sphères religieuses musulmanes. De plus, l’usage du droit moderne, considéré comme l’essence de la civilisation matérielle, a favorisé l’individualisme et l’égoïsme. C’est que la culture de consommation qui a pris ses racines avec la traite négrière (Abdoulaye LY 1954) puis s’est développée et renforcée avec la colonisation et l’époque postcoloniale(Gerti Hesseling 1985) est facteur d’aliénation culturelle parce que les produits manufacturés portent « une charge culturelle » qui fait que nous sommes » moulés, transformés « (Joseph ki Zerbo 2003). Ce qui accentué l’extraversion culturelle. Et comme parade cet historien préconisait d’«Infrastructurer nos cultures ».
Eveilleur de conscience, homme de foi et d’engagement Serigne Cheikh œuvrait pour l’émergence d’une société africaine islamisée, forte de l’assimilation et de l’adaptation des apports occidentaux. Donc, à l’abri de toute extraversion culturelle.
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Par la grâce d’Allah puissions-nous, héritiers de Serigne Cheikh Tidiane SY Al Makhtoum, cultiver chacun son lougan dans le vaste champ qu’il a défriché pour l’Islam et pour la dignité et la fierté africaines recouvrées ! Investi d’une mission à la fois culturelle et sociale Serigne Cheikh fut le digne héritier de son homonyme, le fondateur de la confrérie tidjane. Mais son action sociale fondée sur le bon sens, la foi en Dieu et le patriotisme africain, transcendant l’horizon des Tarikha (confréries) était destinée à tous les Sénégalais et par delà, à tous les Africains musulmans.
Son éloquence, sa vaste et profonde et culture, son charisme firent de lui un guide spirituel éclairé, influent.
Serigne Cheikh a rempli sa mission. C’est un lourd héritage qu’il vient de nous laisser. A nous de relever le défi. Ce serait rendre irréversible le processus conduisant à la révolution culturelle et sociale dont l’Afrique a tant besoin.
Par Adama Baytir Diop, historien-chercheur
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