Il était une fois El Hadj Alioune Badara Diagne “Golbert” (Mame Doudou KANE)

Cet article, je le dédie au Groupe Bara Yeggo (son groupe de cœur) et à tous ceux qui aiment Ndar, l’auteur, Mame  Doudou  KANE

 

Toute destinée qui acquiert force d’exemple aura subi préalablement le déterminisme de la volonté individuelle. El Hadj Alioune Badara Diagne avait bien compris cela avant de se forger un destin : un destin de Doomu Ndar au sens le plus noble du terme. Ce fils de Malal et de Fary Lobé Ndoye naquit en septembre 1941 à la rue de France, dans le célèbre quartier de Lodo, au nord de l’île de Saint Louis.

Saint-Louis. Cette ancienne capitale de l’Aof, ce foyer de culture qui bénéficie de signes historique et géographique favorables ; cette ville lointaine des Signares où le colon a jadis côtoyé l’autochtone ; où la route du nègre et celle du berbère se sont croisées ; où le clocher de l’église et le minaret de la mosquée hérissent le même ciel ; où le fluvial et le maritime s’enlacent depuis toujours dans un parfait amour ; où encore l’eau et la terre conjuguent tendrement leur esthétique et leur poétique.

Tous ces messages ont sans doute claironné depuis le berceau dans l’âme de cet artiste de naissance qui, près de 80 ans durant, s’était engagé volontairement ou involontairement pour un but sublime : NDAR. Mieux que quiconque, il avait à dessein la défense, la restauration, le rayonnement de sa ville natale. Le vendredi 03 avril 2020, il nous quitta de fort belle manière en début de matinée.

Quand on me téléphonait pour m’annoncer la nouvelle, j’étais au cœur du cimetière mythique de Marmiyal, en face du tombeau de ma mère (une autre Diagnène digne de ce nom. Paix à son âme). Quelle nouvelle ! Je me demande si ce n’est encore un poisson d’avril… «Non !», me répondirent les splendides rayons du soleil qui illuminaient déjà son tombeau que j’apercevais non loin de moi. Mon doute persiste ! N’avait-on pas interdit toute diffusion de fausses nouvelles en ces temps qui courent ? Et une brise de mer d’une rare douceur en provenance de Salsal confirme la nouvelle, relayée en cela par les vaguelettes du fleuve qui arrosent la mangrove tout autour du cimetière de Marmiyal.

Oui, c’est vrai ! El Hadj Alioune Badara Diagne n’est plus de ce monde ! Dieu l’a arraché à notre affection : «Mawlaana tabaraka wa tahaa laa», comme il aimait le dire pour L’implorer et Le sublimer.

Je me redresse pour défiler mon regard le long du cimetière : un calme olympien, un silence bruissant. Je me demande pourquoi les oiseaux se sont tus à cette heure encore matinale ? Tout autour de moi, les fidèles présents au cimetière fixent leurs regards sur un tombeau «anonyme» qui, depuis plus d’une décennie, attend son hôte de marque. Je défile à nouveau mon regard tout autour de moi et me rendis compte que le cimetière de Marmiyal, dans toute sa splendeur et sa plénitude attendait un hôte de marque : les murs et les projecteurs bien dressés au ciel, les sept allées et retours proprement dégarnis, les portes et le portail grandement ouverts… Sans aucun doute ! Les autres cimetières de la cité pieuse (Thiémé et Thiaaka Jaay) voulurent se joindre à celui de Marmiyal pour accueillir, à l’unisson, celui qui ne se lassait d’œuvrer pour que ces patrimoines communs, remplis de saints, d’érudits et d’Oulémas, ne souffrent de rien : murs de clôture, porte, portail, lampe, projecteur, eau, électricité, natte, bâche, morgue, climatiseur, pelle, râteaux, fourche, coupe-coupe…..

Je sortis du cimetière et me rendis compte de la morosité qui affectait toute la cité de Mame Coumba Bang ! Quelle perte ! Quelle nouvelle ! Quelle tristesse ! Une tristesse qui subitement fit oublier le spectre du coronavirus. Je n’eus plus envie de rentrer à la maison, me confiner dans ma chambre et prendre mon petit-déjeuner.

Habitant Bayal Tendjiguéne, ma curiosité me poussa vers la direction du marché. J’avais vraiment envie de sillonner Saint Louis et de mesurer la température de cette cité savante qu’El Hadj Alioune Badara Diagne qualifiait de lieu de transcendance, d’élégance et de maîtrise de soi.

Je voulais savoir à quoi ressemblait cette veille cité qui venait juste de perdre  son meilleur gouverneur, son meilleur maire, son meilleur inspecteur, son meilleur communicateur, son meilleur avocat défenseur, son meilleur animateur, son artiste le plus complet, son symbole authentique, son icône.

Je voulais avoir, séance tenante, une réponse à ma préoccupation : à quoi ressemble Saint-Louis sans son El Hadj Alioune Badara Diagne ? Une vendeuse de poisson au milieu d’une dizaine de Guet ndariennes me laisse entendre ceci : «Ah, ndeysaan, ak tay ni jeeun touroo !». En pareille circonstance, GOLBERT DIAGNE seul se chargeait d’annoncer la bonne nouvelle afin que les clients s’empressent auprès des vendeuses pour s’approvisionner au mieux.

Mon indiscrétion me révèle aussi le bon approvisionnement en légumes frais et fruits mûrs bien disposés à leur place. Mais ce marché n’était pas en marche ; il y manquait, ce vendredi 3 avril, la clameur et la ferveur qui l’épiçaient d’ordinaire ; il y manquait aussi et surtout cette voix alerte en provenance de la  Fm Téranga, cette voix qui, au-delà du marché, faisait vibrer les cœurs des 33 quartiers de Saint-Louis et villages environnants entre 11 heures et 14 heures, le temps de Ndar Ragne, cette émission inédite qu’il animait, accompagnée d’une belle mélodie de Youssou Ndour en sourdine.

Je me tourne vers le pont Faidherbe : un embouteillage monstre. En traversant les sept arcs de ce symbole légendaire de brassage et de métissage, une autre sensation  heurte ma conscience. De la montée à la descente du pont, les voitures restaient inertes, bloquées. Et pourtant, aucun klaxon. Conducteurs comme piétons zappaient entre les stations Fm qui diffusaient en direct des témoignages, dévoilant au grand public les multiples facettes de l’homme, et ses caractérisations s’égrenaient à l’infini : journaliste émérite, communicateur hors du commun, régulateur social, humaniste toujours au service de sa communauté, artiste-comédien de renommée internationale, sportif pratiquant, dirigeant, arbitre fédéral (président de la Cra), talentueux éducateur doué d’une probité morale et intellectuelle, bref un Doomu Ndar au service de sa Nation, un modèle par excellence de civisme et de citoyenneté.

Je descendis du pont et fis le tour de la Gouvernance et de la Place de l’Indépendance (Baya). Le même constat amer : je ne reconnus plus Saint Louis : cette ville si hospitalière venait de perdre quelqu’un  qui lui était si cher, quelqu’un qui l’aimait avec puissance, quelqu’un qui savait la défendre, la chérir, la vendre à sa juste valeur.

El Hadj Alioune Badara Diagne Golbert a rendu l’âme à l’hôpital de Saint Louis, cet hôpital qu’il avait toujours soutenu pour relever le plateau médical de sa région. Alors, l’hôpital ne voulut pas si tôt se séparer de lui : il retint son hôte jusqu’au lendemain en guise de reconnaissance. Ce fut au petit matin qu’il fut enterré en catimini.

Au-delà même de l’hôpital, c’étaient toutes les populations de SAINT-LOUIS qui voulaient rendre un vibrant hommage à ce Doom Ndar qui savait, mieux que quiconque, comment servir sa ville.

On devait partir de la Voix du Nord pour aboutir au cimetière de Marmiyal. On devait traverser toute l’île, l’avenue Serigne Babacar Sy (Rta), la gouvernance où Cheikh Ahmadou Bamba (Rta) avait effectué la prière des deux rakaas. On devait traverser le pont, emprunter l’avenue du Genéral De Gaulle, pavoiser dans les rues et ruelles de Balacoss (son fief) pour enfin aboutir à l’esplanade de Marmiyal, ce site qui abrite annuellement le premier vendredi du mois de Ramadan le plus beau héritage qu’El Hadj Alioune Badara Diagne a légué à sa ville natale : les Kaamil des vendredis du mois de Ramadan devant les cimetières de Saint-Louis.

Mais, comme nous le savons tous, le destin en avait décidé autrement : il n’y eut ni ce défilé du 3 avril en guise d’hommage, ni celui du 4 avril pour célébrer notre 60e fête d’indépendance.

On l’aime ou on ne l’aime pas, El Hadj Alioune Badara Diagne Golbert a fracturé depuis fort longtemps les verrous de notre mémoire collective, s’invitant par la force de ses convictions et de ses passions dans le Panthéon des immortels.

Oui, l’homme a déjà signé avec les présentes et futures générations un contrat immuable de respect, d’amour, d’affection et d’admiration. On pourrait aussi dire, sans la moindre intention de starisation tendancieuse, qu’il a payé, de par sa personne et sa renommée, de par son verbe possesseur et son agir, le royaume de sympathie et de considération, taillées dans le cœur des Doomu Ndar.

Ayant horreur de l’échec et de la médiocrité, même le passable n’a jamais été à son goût. Son culte était celui du perfectionnisme, du pragmatisme, de la compétence  et de l’excellence. C’est pour cette raison, toute particulière, que le père de Malal Diagne Junior était plus qu’un Maître : il était une Ecole, une Ecole d’où sont sortis de grands cadres du monde de la presse nationale et internationale : Alioune Badara Fall (Gfm), Bougane Guèye Dany ( DMédia), Boubacar Campbell Dieng (Artp), Mouhamed Naby Sylla (Rfm), Moussa Diagne Colombo (2STV), Mayoro Faye (Pds), Marianne Senghor (Rts), Mamadou Aïcha Ndiaye (Canada), Kalidou Dia (Rts), Ben Mactar Diop (2STV),  Ousseynou Diop (Téranga , Tfm), Momar Alice Niang (Imédia), last but not least…..

Il nous reste à souhaiter qu’Allah (SWT), le Souverain des souverains, soit entièrement satisfait d’El Hadj Alioune Badara Diagne qui, par sa véracité, sa loyauté, son  patriotisme, la mélodie de son sourire enchanteur, le festin de son verbe extraordinairement possesseur, régalait ses hôtes, tous les hôtes de Saint-Louis, capitale de la Téranga. Son souhait ultime, avouait-il du fond de son cœur, n’était-ce pas de transplanter le Paradis et de le répandre sur toute l’étendue de Saint-Louis ? Et comme «li nga yéénè nitt gni rek lala boroom bi di défal», notre ultime souhait est qu’El Hadj Alioune Badara Diagne fasse partie de ces âmes purifiées qui retournent à leur Seigneur accueillies par ces mots : «Entre au nombre de Mes serviteurs, entre dans Mon jardin»  (in Le Coran, LXXXIX, 29, 30).

Que le Tout Puissant Allah (SWT), par la Bénédiction du Prophète Mouhammad (Psl), nous pardonne tous nos péchés volontaires et involontaires ; qu’Il stoppe définitivement la propagation du coronavirus à travers le monde entier et qu’il nous permette de convier l’humanité toute entière à venir à Marmiyal un vendredi du mois de Ramadan , rendre un vibrant hommage à El Hadj Alioune Badara Diagne, cet homme multidimensionnel, altruiste jusqu’aux os, ce Doomu Ndar qui a donné un sens à sa vie propre et à celle de sa communauté toute entière en devisant autour d’un seul crédo qu’il fit sien : «Dekk ci dekk bi défar dekk bi moo ko geun».

 

Saint-Louis, Samedi 4 avril 2020

 

NDA : Alioune Badara Diagne m’est apparu en rêve vers l’aurore. Il était si joyeux. Il m’autorisa à rédiger un article et me proposa même le titre.

 

Professeur d’Histoire –Géographie

Lycéé Mame Rawane Ngom

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